ATELIER LECTURES N°100 Mathias ENARD Boussole
La centième donc, ce 15 février 2016 de vacances scolaires, nous étions 11 pour échanger "vivement" sur ce dernier prix Goncourt : Boussole.
Boussole de Mathias ENARD
Des réserves, des critiques, des agacements, livre difficile qui se lit à petites doses, surchargé de références savantes.... Avec des passages admirables de l'avis de chacun. Les agacements : des surcharges de citations, des listes de noms, une foule de personnages cités (soupçonneux, nous allons en vérifier l'exactitude sur le net) , on pense que ENARD a trop utilisé ses fiches de thésard. L'érudit vire au prétentieux, pour nous, modestes lecteurs.
Qui entrons ou non dans la convention narrative d'une longue nuit d'insomnie : le narrateur, Franz Ritter, la soixantaine, musicologue, spécialiste viennois des échanges musicaux orient/occident, vient le même jour de recevoir un fâcheux bilan médical, et un article de Sarah, l'amour de sa vie, brillante orientaliste. Alors, un roman d'amour? Oui, si l'on croit au personnage de Sarah.
L'admiration, pour une langue superbe, dès la première page, qui sait aussi dire à merveille (p132) le bonheur des corps , les nombreux rêves soudain relégués à ce propos charnel, affadis, effacés par les éclairs d'un début de réalité, le goût d'un souffle, d'un regard si proche qu'on en ferme les yeux, qu'on les rouvre... . Ou raconter longuement une nuit passée à Palmyre, l'éblouissante beauté des ruines et les monstruosités du régime Assad, le souvenir laissé depuis les années 30 par l'étrange patronne de l'hôtel Zénobie ou par Lady Hester Standhope fière aventurière anglaise aux mœurs d'acier dont l'Orient suçota la fortune et la santé jusqu'à sa mort en 1839 (p.130 et ...).
Le propos de Mathias ENARD est là, dire cette fascination des occidentaux pour l'Orient. La Boussole du titre en est la métaphore : le Nr possède une boussole, copie de celle de Beethoven, mais qui indique obstinément l'Est, tout comme Beethoven a définitivement quitté Bonn pour s'établir à Vienne , la porte de l'Empire Ottoman (p74). Et de faire l'inventaire de ces artistes attirés par la magie de l'Orient, rêvé ou visité, Mozart, Franz Litz, Hugo, Lamartine, Bizet , Heine ... Mais la mixité s'avérait impossible face à la pathologie nationaliste qui envahit petit à petit le XIXè siècle et détruit, doucement, les passerelles fragiles construites auparavant pour ne laisser la place qu'aux rapports de domination (p74) . Aujourd'hui? J'ai l'impression que la nuit est tombée, que la ténèbre occidentale a envahi l'Orient des lumières... que la construction cosmopolite du monde ne se fait plus dans l'échange de l'amour et de la pensée mais dans celui de la violence et des objets manufacturés. Les islamistes en guerre contre l'Islam. Les Etats-Unis, l'Europe, en guerre contre l'autre en soi (p338) .
Gros et dense volume donc, 378 pages, qui dit la peine que partage le lecteur devant les horreurs vécues par les peuples orientaux . Derniers mots du roman: au tiède soleil de l'espérance. Derniers mots de l'Envoi : Aux Syriens.
Nous avons également beaucoup apprécié:
De Mathias ENARD beaucoup ont préféré, vrai roman et plus actuel : Rue des Voleurs, avec un jeune personnage très attachant.
Plusieurs Poche récents, sur Marylin, le TTB roman de Joyce Carol OATES: Blonde. Et aussi de Sorj CHALANDON, petit récit d'amour et d'amitié, comment faire vivre en Mayenne la maison du couple disparu:La Promesse. Ou de Hennig MANKELL, très engagé, un extraordinaire roman situé au Mozambique sur la ségrégation, la haine, le racisme: Un paradis trompeur. De Joël DICKER, un jeune français dans les Services secrets anglais: Les derniers jours de nos pères.
Enfin le titre que l'on se dispensera d'acheter malgré une critique enthousiaste et la belle couverture d'un couple qui danse: En attendant Bojangles; mieux vaudra réécouter Nina Simone à qui on a pris le titre...
Prochains rendez-vous:
le 14 mars 15h30 autour d'un genre la nouvelle, chacun avec sa (ses) nouvelle préférée; on peut aussi relire le CR de notre séance 74 (date?)
le 11 avril, Elena FERRANTE et les deux titres en Poche, L'amie prodigieuse et/ou Le nouveau nom...
DH