ATELIER LECTURES N°102 Elena FERRANTE
Nous étions près de 14 ce 11 avril 2016, malgré vacances et voyage romantique sur le Rhin, pour échanger sur les derniers romans traduits en français de la mystérieuse Elena FERRANTE.
L'Amie prodigieuse
C'est le premier des 4 volumes de la saga de deux amies Napolitaines : un succès mondial tout particulièrement aux E-U, un million de volumes vendus , traduit dans 25 langues ... Elena Greco la
narratrice, dite Lenù, et son amie Raffaella Cerullo , dite Lena ou Lila, ont le même âge, ont vécu dans les mêmes ruelles d'un quartier populaire de Naples dans les années 50 ; adultes, elles
ont des existences très différentes : Lila mariée , devenue très richement élégante , est restée dans ce mezzogiorno moins developpé que le Nord, que Turin où vit la narratrice qui a misé sur
l'éducation et l'écriture. Un prologue de cinq pages, elles ont 66 ans : le fils de Lila annonce à Lenù que sa mère a disparu, effaçant toute trace d'elle dans leur appartement. Il faut donc
commencer à écrire leur longue histoire commune...
Comment le lecteur la recevra-t-il ? Il y a la vie des deux gamines auxquelles on peut s'identifier , qui grandissent , rivales , qui s'adorent et se haïssent, festival anecdotique savoureux ; un
arrière plan social , 48 personnages aux situations inégales qui cohabitent dans ce quartier , monde de labeur ou de marché noir , d'inégalités , de bagarres ; le déterminisme social , la
reproduction ou non , la part de liberté de chacune : ce qui nous appartient, c'est d'être nous (vol 2) ; enfin il y a une écriture , une façon de conduire récit et analyses des perceptions des
personnages .
La diversité de nos réactions tient à cela, à ce à quoi nous avons été plus particulièrement sensibles.
Ne pas s'en tenir à la qualité du style on peut se dire déçu : tel monologue intérieur bétassou (p 426) peut être suivi de notations fines , la plèbe , c'était nous . La plèbe, c'était ces
disputes pour la nourriture et le vin... (p428) ou ailleurs l'analyse d'un vertige chez Lila bouleversée , un sentiment de révulsion... des entités inconnues qui brisaient le profil du monde et
en dévoilaient l'effrayante nature (p109...) . Certains parleront même de style addictif ! La conduite du récit , elle, nous a semblé excellente : comment une paire de chaussures, cousues avec
talent par Lila , devient la preuve d'une trahison impardonnable et condamne un couple dès sa première nuit , comme un sous-titre donné (p109) par Ferrante : Une histoire de chaussures .... qui
ouvre le second volume : Le Nouveau nom . Tout celà , amour ou violence des rapports de personnages, de classe , fait que l'on peut sincèrement dire à la lecture de ce second volume : j'ai été
scotchée! ... quand d'autres auront eu souvent l'impression de longueurs, d'ennui ...
Donc pour cette saga un extraordinaire succès commercial qui fait vivre la maison d'édition E/O , initiales d'Europe-Orient , entretenu par le mystère, l'anonymat de l'auteur véritable ,
Napolitain à coup sûr . Le milieu littéraire italien joue le jeu , l'éditeur dément qu'il s'agisse d'un couple , une traductrice, Anita Raja et son mari Domenico Starnone , un écrivain napolitain
connu : que la véritable identité n'interfère pas avec le travail littéraire , la connaissance du nom de l'auteur risquerait simplement de détourner l'attention de l'oeuvre elle-même.
La fidélité à son milieu d'origine ? Magyd Cherfi, chanteur du groupe Zebda, et écrivain, en a très bien parlé à propos de Karim Benzema ( L'Obs du 07/04) : Problème, les enfants d'immigrés
veulent garder les blessures de l'enfance, la "famille" est leur ADN. Karim a dû partir, il s'est séparé des siens, d'une langue, d'un socle auquel il s'identifiait, de ses copains de misère, de
ses repères et s'est perdu, car, d'en bas, c'est la trahison que l'on retient. D'en bas on vous demande d'être le porte-parole des damnés. D'en haut, d'être l'exemple de la République. Les deux
ne marchent pas d'un même pas... Ici aussi on parle bien de schizophrénie. Exactement comme Lila et Lenù, les personnages de FERRANTE.
Nous avons repéré d'autres titres:
Certains déjà cités comme Enterrez vos morts de Louise PENNY, un savoureux polar qui nous promène dans Québec à la recherche des restes de Champlain, ou L'Art de la joie ...
Autres titres en vrac parmi lesquels nous pourrons choisir : Une terre d'ombre Ron RASH ; La Splendeur dans l'herbe de Patrick LAPEYRE ; Carthage de Carol OATES ; Vera Cruz d'Olivier ROLIN et
Peleliu de Jean ROLIN ; Le Grand marin de Catherine POULAIN ; ou Mourir et puis sauter sur son cheval de David BOSC ; enfin les surprenantes nouvelles (ou les romans) de Truman CAPOTE...
Prochain rendez-vous :
lundi 9 mai : Jean ECHENOZ, Envoyée spéciale et autres titres... Lundi 6 juin , thème à fixer.