ATELIER LECTURES N°104 : Joyce Carol OATES

 

 

 

Soleil, vacances, nous étions 11 ce lundi 6 juin 2016 pour un long échange sur cette passionnante Américaine de 78 ans, qui écrit depuis l'âge de 14 ans , et en qui nous avons découvert un futur Prix Nobel de Littérature.

 

 

 

Joyce Carol OATES

 

Nous avions vu son visage , jeune brunette qui débute , puis dame souriante et posée lors de son entretien avec Busnel dans l'un des Carnets de Route . On y touvait des précisions  : En quarante ans elle a écrit plus de 115 livres , 55 romans , plus de 400 nouvelles , une bonne dizaine d'essais , huit livres de poésie , et plus de trente pièces de théâtre...

 

115 livres ! Nullement impressionnés nous avons commenté le corpus non négligeable dont nous disposions : 2 essais , plus d'une vingtaine de nouvelles et près de dix romans ! En bref, parfois des longueurs , mais toujours une œuvre pleine de finesse, passionnante.

 

Blonde (967p) Ce n'est pas une biographie sur Marilyn Monroë dit l'auteur, mais un roman ; l'empathie avec son personnage est évidente, et à notre avis c'est avec celui de Norman MAILER le meilleur livre sur l'actrice. OATES dit à la perfection son bonheur de faire revivre sous l'image si connue, une personne : Cette jeune fille au sourire plein d'espoir, si Américaine, me rappelait avec force des jeunes filles de mon enfance, parfois issues de foyers désunis. Pendant plusieurs jours j'ai éprouvé un sentiment proche de l'ivresse à l'idée que je pourrais donner vie à cette fille solitaire, perdue, que le produit de consommation iconique « Marylin Monroë » allait recouvrir et effacer.

 

Fille noire, fille blanche

 

Dans le contexte historique des années 1960-70 jusqu'à la démission de Nixon , c'est l'histoire de deux jeunes filles américaines, de condition sociale très différente racontée trente ans après par Genna après la mort tragique de Minette, la jeune fille noire. Toutes deux ont été dans une grande solitude. Minette, fille de pasteur, se sent abandonnée par père et mère, elle vit toujours sur la défensive avec le sentiment d'être persécutée. Genna est issue d'une très riche famille de quakers , l'un de ses parents a fondé à ses frais leur université, elle a une mère inexistante, sous LSD, et un père brillant et généreux avocat des droits civiques, des déserteurs du Vietnam et autres militants violents : il est persécuté par le FBI. Elle n'en finit pas de culpabiliser d'une aisance sociale que ne connaîtra jamais son amie. Tous les personnages de Carol OATES sont complexes , pensées , conduites ambiguës, refuge dans le religieux : ce qui fait que cette œuvre est passionnante.

 

Chutes (560 p) a été le Prix Fémina étranger 2005 . C'est, sur plusieurs générations une saga familiale , à partir d'un fait-divers des années 60 : l'assassinat d'un brillant avocat, défenseur des victimes des émanations chimiques de la région de Détroit. Ici encore des personnages complexes : telle mère exceptionnelle , élevée de façon stricte chez les Pasteurs, grande rigueur, peut par une jalousie qui se révélera sans objet provoquer la mort de son époux... Un mariage arrangé, le marié se suicide le lendemain des noces... Jamais de pathos chez OATES , jamais de manichéisme, aucun personnage n'est totalement bon ou mauvais : encore un roman qui fait l'unanimité, passionnant.

 

Carthage (589 p) A nouveau des lieux, des thèmes, des silhouettes de personnages devenus familiers. Busnel dit (vidéo citée) Ses personnages sont torturés, ambigus, névrosés , aux prises avec les disfonctionnements de la famille ou du couple. Ici la famille très américaine habite Carthage, et dans une (trop) longue première partie c'est une recherche, celle d'une jeune femme disparue, il y a Brett, un marine revenu traumatisé d'Irak , la découverte des luttes sociales chez General Motors, et surtout une visite du couloir de la mort guidée par un Lieutenant cynique, description de l'état des corps après l'exécution etc. , l'horreur dite avec une froideur clinique . Du OATES , tous tentant bien sûr de faire le Bien devant l'Eternel !

 

 

 

D'autres romans, parfois comme un essai : J'ai réussi à rester en vie, qu'elle a écrit en 2008 après le décès de Ray, son premier mari, le désespoir, les insomnies et la culpabilité après une bonne nuit, la dépendance aux antidépresseurs, le travail néanmoins , l'acceptation de la souffrance Souffre Carol, Ray le méritait ! , les petits stratagèmes pour continuer , et ce conseil aux veuves , après une année à souffrir , toutes devraient se dire « j'ai réussi à rester en vie ! ». Des horreurs aussi, comme Premier amour (90 p) où Josie, la narratrice, se rappelle ses onze ans, sa dépendance totale à Jared Jr, un cousin de 25 ans en proie à une exaltation religieuse perverse, qui la caresse , lui fait réaliser ses propres fantasmes de purification avant de terminer sa formation au séminaire.

 

De 2016, non encore traduit, L'Homme sans ombre (360 p, sans rapport avec le roman de A. von Chamisso dont le héros avait vendu son ombre au Diable) où Margot, neuropsychiâtre, consacre sa vie entière à suivre et soigner un patient sans aucune mémoire immédiate, pas plus de 45'' à cause d'un herpès qui a atteint le cerveau, qui ne la reconnaîtra donc jamais... et pourtant c'est un très bel homme , quaker riche, honnête, brillant, cultivé, qu'elle accompagne jusqu'à la mort, et qui en retour ne lui donne, même sur son lit d'hôpital, qu'un regard absolument vide.

 

Des nouvelles. Cher époux , 14 récits d'une quarantaine de pages , celui qui donne son titre au recueil commence en effet par ces mots Cher époux, écrits par une jeune mère de cinq enfants qu'elle aime malgré sa fatigue, elle a préparé couteaux et médicaments , pour elle, car Rien de notre vie ne se passe sans Dieu , et il faut suivre les directives du Pasteur qui lui répète, comme son mari, qu'elle doit s'organiser, qu'elle n'a à s'occuper que de la maison et des cinq enfants bien qu'elle répète sans cesse Je suis très fatiguée... C'est Jésus qui a voulu ça... Les couteaux sont ici ! Après les avoir tués tous les cinq elle pourra prendre ses médicaments, se reposer Je suis si fatiguée !

 

Ou dans Femelles (2005, 9 nouvelles en 280p) , Poupée, une ballade du Mississipi : Poupée a 11 ans, est très maquillée ; quand on a retrouvé dans le Mississipi le corps de Maman en morceaux, Papa n'a pas été inquiété faute de preuves suffisantes ; maintenant il l'emmène dans des motels en limite de l'Etat, les messieurs contactés savent NPT, ne pas toucher, et quand celui de ce soir lui prépare son bain bien chaud, penché sur la baignoire, avec la lame de rasoir fixée sur un stylo à bille d'un des motels, crac ! Un, deux, trois... technique qu'elle a perfectionnée, et quatre et cinq... la tête est quasiment détachée du corps ; chaque fois elle coupe un morceau différent qu'elle rapporte en souvenir à Papa, on garde les trophées dans des bocaux déposés dans des consignes de gares.

 

 

 

Busnel : Derrière des apparences très sages, elle met en scène des adolescents criminels, des enfants martyrisés, des pères bourreaux, des tueurs en série, des violeurs, des kindnappers, des terroristes, et tous racontent à leur manière l'histoire de l'Amérique, depuis la grande dépression des années trente jusqu'au monde de l'après 11 septembre . Elle, Joyce Carol OATES : Ce qui m'intéresse c'est le drame, le drame de la confrontation des classes sociales... Je crois vraiment que le crime et le mystère sont au coeur de toute expérience humaine. Si nous remontons à l'Antiquité , aux Grecs (…) le sujet est toujours le crime, parfois des crimes extrêmement passionnels et ignobles, parfois c'est le comportement moral qui est criminel...

 

Que cet étalage d'horreurs ne rebute pas : nous avons lu passionnément ces divers textes, cette analyse des comportements dans une société corsetée par le puritanisme et qui éclate en violences. Le bon voisine avec le pire : nous avions évoqué la superbe chanson de Billie Holiday, Strange Fruit, écrite sous le pseudonyme de Lewis Allan par Abel MEEROPOL (il composera également le Scoubidou repris par Sacha Distel !) ; après l'exécution d'Ethel et Julius Rosenberg, leurs deux enfants ont été adoptés par Meeropol et ils portent son nom.

 

Cela doit en effet être ça, l'Amérique.

 

 

 

Prochains Rendez-vous :

 

Lundi 12 septembre autour de La Lettre écarlate et autres titres de Nathanaël HAWTHORNE ; puis 10 octobre Herman MELVILLE, ses divers romans.

 

*** DH