ATELIER LECTURES N° 91 : ALAA al-ASWANY
Nous étions 20 ce 20 avril 2015 pour échanger sur les romans du talentueux dentiste-écrivain égyptien Alaa al-ASWANY, dont tous les titres étaient connus dans notre groupe, du premier et célèbre L'Immeuble Yacoubiande 2006, au dernier paru l'an passé : Automobile Club d'Égypte. Nous suivions de près sans le savoir l'actualité politique égyptienne, car le lendemain de notre atelier se tenait le jugement de l'ex-Président Mohamed Morsi, un temps soutenu par ASWANY, avant que par rejet des Frères Musulmans il ne se range aux côtés du Président Al-Sissi, élu il y a moins d'un an, en juin 2014. Wikipédia est précieux, il faut lire en particulier les déclarations sur l'Islam dont je ne cite ci-dessous que deux phrases.
Automobile Club d'Égypte (2014)
Nous avons longuement échangé sur ce livre assez passionnant : dernier paru, il s'inscrit dans un contexte historique antérieur à celui des romans précédents, les années 40, l'affaiblissement de la présence anglaise, la disparition annoncée du roi Farouk et l'arrivée prochaine de Nasser. La liquidation d'une période donc, avec dans le roman le meurtre symbolique du chambellan du roi.
C'est un roman choral où se croisent de nombreux personnages, féminins et masculins, de tous âges, de religion, d'opinion et de condition diverses. Ce n'est pas pour autant un tableau de toute la société égyptienne, mais seulement de la bonne société cairote qui se retrouve autour de l'Automobile Club, les possédants, les puissants et leurs domestiques, cette société cosmopolite du Caire qui ne cache pas son mépris de la Haute Égypte et de ses paysans. Et les diverses intrigues, tous les moyens étant bons, en font un livre très actuel sur la recherche du pouvoir.
Le lecteur est également séduit par de beaux portraits de personnages féminins (Aïcha), par leur sensualité, par l'évocation du paysage cairote de terrasse en terrasse, par une écriture élégante : lorsque meurt du choléra un serviteur copte, "le secret divin se retira de lui". Mais il doit faire avec la perversité d'autres personnages masculins typés, et la complaisance de l'auteur à relater des exploits érotiques ou à plaquer une biographie d'Alfred Benz et de ses automobiles...
La plupart de ces personnages se retrouvent dans un autre roman commeChicago(2007) situé lui aux USA, dans le milieu des étudiants-doctorants égyptiens de l'Université de l'Illinois. Des expatriés donc, comme le fut l'auteur qui y termina ses études dentaires. Il y a le militant démocrate très engagé (Nagui Abd-el-Samad) qui dénonce la dictature de son pays, la jeune et séduisante juive libérale, l'étudiant gras et assez répugnant, agent du gouvernement égyptien pour surveiller et dénoncer ses compagnons, la complexité du poids de leur éducation familiale musulmane . Et constamment la dénonciation par le romancier de l'absence de démocratie en Egypte, le recours constant à la torture, les raffinements pervers pour faire avouerles suspects, les liens de la police égyptienne avec le FBI. C'est là aussi un roman à clefs, sans être nommé le Président égyptien est clairement Hosni Moubarak, tout comme le Chef du Renseignement est un double de Omar Souleiman, en lien avec le FBI et mort à Cleveland en 2012.
Roman courageux dans son attaque des tabous, pas uniquement politiques, avec l'omniprésence de la religion, et de façon pesante pour nous de la sexualité. L'excellente critique du Mondeà la sortie du roman notait : "des scènes complaisantes (...) on n'attendait pas de lui qu'il s'appesantisse sur l'usage du vibromasseur par des Américaines ou sur des publicités télévisées pour soutiens-gorge et petites culottes".
L'article ajoutait en saluant le talent de l'écrivain que "Chicago n'a pas le charme deL'immeuble Yacoubian",le roman qui a révélé ASWANY en 2006. Même construction en courts chapitres qui ménagent le suspens, même dénonciation des mariages factices, même présence de personnages sincères qui, ici, seront récupérés par des fanatiques et poussés à des actions terroristes: Taharmalgré ses excellentes études sera refusé au concours de policier car fils d'un gardien d'immeuble d'origine nubienne. Même omniprésence du fait religieux dans l'évolution des personnages rattrapés par l'islamisme, dont l'écrivain a dit : « L'islam dans toute sa grandeur avait poussé les musulmans à faire connaître au monde l’humanité, la civilisation, l’art et la science. Mais la tartuferie nous a menés à toute cette ignominie et à cette misère dans laquelle nous vivons ». Ce pourrait être une conclusion de nos échanges, mais il faut ajouter J'aurais voulu être Égyptientexte d'abord interdit puis paru en 2009. Écrit très réaliste, très violent contre la censure: un récit d'une petite centaine de pages, aux personnages négatifs est suivi par de courts et brillants textes pessimistes. Tableau de l'Égypte contemporaine, on pense à du La Bruyère avec une dent impitoyablement cruelle : la tartuferie ...
Prochains rendez-vous:lundi 18 mai, 15H à la Salle de la Trompette , Sandrine COLLETTE et les néos polars; lundi 1er juin, La petite lumière , plus de J-L Seigle Je vous écris dans le noir.
* DH