ATELIER N° 95 : James SALTER
Nous étions 17 ce 21 septembre 2015 pour échanger sur les romans de James SALTER (James HOROWITZ), récemment disparu à 90 ans, et dont nous avons lu à peu près l'ensemble de l'oeuvre romanesque, depuis Cassada (1960-réécrit en 2000) jusqu'au plus récemment traduit : Et rien d'autre (2014).
James SALTER: Et rien d'autre , L'Homme des hautes solitudes , Une vie à brûler....
Tout de suite nous avons souligné les imprécisions de la traduction : ainsi ces ... hautes solitudes, ont pour titre original Solo faces (1979). Titre juste, explicite. Défi des ascensions en solitaire, face à face avec soi et la paroi rocheuse : Rand, le jeune héros américain est venu dans la vallée de Chamonix et le massif alpin tenter et réussir des ascensions mythiques par des voies nouvelles. Jouer sa vie sur la verticalité des Drus ou du Cervin. S'écraser dans la chute vertigineuse, ou réussir à se vaincre. Le personnage reste en vie: Salter le fait renoncer sur une voie glacée, Rand retourne en Californie, gardien symbolique d'une décharge de carcasses de voitures accidentées. En vie? Il laisse en France la femme qu'il a désirée, possédée, et son enfant. Lui restent les carcasses métalliques brisées...
Difficultés d'un autre genre avec le lecteur de Et rien d'autre: continuera-t-il sa lecture? Jérôme FERRARI chargé de la critique du roman à sa parution ( Monde des Livres sept. 2014, que nous procure AMS) après avoir dit son éblouissement devant la minutie pleine de compassion du romancier évoquant les dernières lettres à leurs épouses des soldats japonais sacrifiés, ajoute Ensuite il m'a pourtant fallu 100 pages pour entrer dans le roman ... Mais quand on y est, on partage un art épicurien du détail, des portraits en action captivants, des événements vivement narrés, les menus de célèbres restaurants ou ses rencontres féminines toujours réussies... Car lorsqu'il évoque les femmes, il nous semble bien qu'il ne parle en fait que de lui. En vainqueur. Comme il l'écrit dans UneVàB (p116) : Les villes, comme les femmes, sont tendres envers les vainqueurs...Même si par ailleurs, comme dans ses nouvelles de Bangkok (lire Le Don et La dernière nuit) , les personnages féminins sont consistants, elles savent partir, avec un autre, abandonner ceux qui n'ont à vivre que le face à face permanent avec la mort...
Etudes à West Point, militaire de carrière, US Air Force, pilote de chasse, vols d'entraînement de l'OTAN en Allemagne, en France, en Espagne, au Maroc et campagne de Corée en 1952, chasseur-chassé par les Mig soviétiques. Puis en 1957 à 32 ans il choisit de devenir écrivain. Nous ne connaissions rien de son travail pour le cinéma, la TV, les scripts qui font la 2ème partie de Une Vie ... , son roman autobiographique. Mais y est en détail son apprentissage aux commandes des avions, toute son expérience de pilote, la litanie à l'identique des vols, le ciel vide, les retours sur des pistes vides, des hangars vides. Affichés, les noms des amis qui ne sont pas rentrés, explosés, brûlés dans le crash de leur avion... Quant à lui, vivant, dans son cockpit : Je ressens en cet instant - je m'en souviendrai toujours – le frisson de l'irréalisable (...) Je suis hors de portée, au-delà de la barre, nerveux mais sans effroi, ne sachant rien, certain de tout (...) l'exaltation, la divinité, enfin!
L'Europe appauvrie des années 50 que ces beaux, élégants, irrésistibles très jeunes officiers choyés et blasés ont connue, A peine un an ou deux auparavant, elle était à vendre pour une cartouche de cigarettes (p324) . D'où cette façon coloniale de parler de la France, où il est aisé de s'affirmer, Elle me donna ma virilité (! ?) : Les vrais habitants n'occupaient aucun espace (p330). Plus tard il en découvrira les écrivains, les paysages, et dira son attachement, son besoin de ce pays où il a puisé sa culture, l'incomparable goût de la France... les matins brumeux... tout ce qui s'y était passé... l'ont rendu impérissable (p281).
Oui, des romans prenants, même si nous sommes souvent partagés, attachés et agacés à la fois. Une écriture admirée, célébrée, faite de liberté, de phrases souvent nominales, de dérapages inattendus, qui travaille la formule, parfois réussie: Écouter une symphonie, c'est ouvrir le livre des visages....
Bref, une excellente façon pour nous de commencer cette nouvelle année de lectures...
Nous avons également bien apprécié:
Trop peu de place pour détailler les titres que nous avons échangés. Très joliment écrit La Belle de l'Étoile de Nadia GALY, un plaisir de lecture qui nous transporte à Miquelon et Anglade. Pour rectifier nos clichés sur l'histoire récente, L'Hiver des hommes de DUROY, parti enquêter dans les Balkans. De Maria DUEÑAS : Demain à Santa Cécilia, la belle rencontre des exilés de 1930 devenus Américains, avec les Espagnols des années Franco. De l'anthropologue iranienne Chahdortt DJAVANN l'édifiant récit des exactions des trop fameux Gardiens de la Révolution: Je ne suis pas celle que je suis. Et encore le superbe, digne et bouleversant Exercices de survie de SEMPRUN. Le très émouvant Jacob, Jacob de Valérie ZENAKI. Ou le plaisir de la biographie de Choderlos de Laclos de George POISSON. Enfin pour rire avec les savantes sciences de la nature, de J.P. OTTE: La sexualité d'un plateau de fruits de mer...
Nos prochains rendez-vous du lundi à 15H30:
19 octobre autour des romans de SARAMAGO;
16 novembre, des Arméniens : L'Etrangère de Valérie TORAGNAN, Daniel ARSAND Un certain mois d'Avril à Adana, ou La Bâtarde d'Istambul de Elif SHAFAK . Sujets à fixer pour les 14 décembre et 18 janvier.